
Moscou, mai 1876. C'est une magnifique journée de printemps, à la fois chaude et fraîche. Dans le jardin Alexandre, une ravissante demoiselle et sa dame de compagnie profitent de l'air estival. C'est alors qu'un jeune homme à la mise recherchée fait son apparition. Son attitude est étrange, hésitante.
Subitement il s'approche, et fanfaronne d'une voix de fausset. Il s'emporte dans un cour théâtrale à l'égard de la jeune demoiselle. Mais face au refus de la belle, il se saisit d'un revolver qu'il presse contre sa tempe. Une détonation déchire l'air. Le corps du jeune homme, déjà inerte, s'effondre.
Pourquoi ce suicide spectaculaire ? Pourquoi ce citoyen notable héréditaire, Piotr Alexandrovitch Kokorine, âgé de 23 ans, étudiant à la faculté de droit de l'université impériale de Moscou, s'est-il ôté la vie de manière aussi grandiloquente ?
Voilà un mystère qui intrigue un jeune fonctionnaire de la polic

e judiciaire de Moscou. Eraste Petrovitch Fandorine, Registrateur du Collège, fonctionnaire du 14e échelon de la hiérarchie - en fait, le bas du tableau - va entreprendre de comprendre cet acte insensé.
Fandorine est fraîchement arrivé à son poste. Il est issu d'une famille riche mais ruinée, son père ayant choisi de disparaître en dilapidant la fortune familiale. Ainsi le jeune policier réside-t-il dans une modeste chambre, et est-il obligé de comptabiliser le moindre kopeck. Mais il est brillant, dynamique, curieux, il est plein de surprise, de bon sens, de sang-froid et de talents cachés. Cependant son jeune âge le trahit aisément lorsqu'une épaule ivoirine se dénude, ou qu'un regard ourlé de cils épais le dévisage. Alors il s'empourpre et chavire souvent dans le romanesque ou le romantisme.
Le commissaire principal à la Direction de la police judiciaire, Ksavéri Féofilaktovitch Grouchine, accordera au jeune Fandorine le droit d'investiguer le mystère du suicidé, sans doute parce qu'il éprouve pour Fandorine une tendresse toute paternelle, et qu'il se rend bien compte que le jeune homme se délite dans l'atmosphère austère et sinistre du commissariat.
Commence un feuilleton spectaculaire et trépidant qui mène le jeune Fandorine de Moscou à Londres, puis à Saint-Petersbourg pour finalement revenir à Moscou. Affrontant mille dangers, il manque autant de fois de périr, ne devant parfois sa survie qu'à un accessoire de vanité masculine.
De scène en scène les personnages interlopes se succèdent: la marmoréenne Amalia Kazimirovna Béjetskaïa, une mystérieuse et envoûtante Cléopâtre qui règne sur une coterie de prétendants; le fougueux Comte Hippolyte Alexandrovitch Zourov, amoureux romantique, bretteur, joueur et tête brûlée; la très gracieuse Baronne Esther, une délicieuse vieille anglaise philanthrope, protectrice des orphelins à travers le monde; le brillant Conseiller d'état Brilling, surprenant mentor du jeune Fandorine; des assassins et factotums de tout acabit; ainsi qu'une clique d'anarchiste terroriste adepte d'Azazel et de machines infernales. Et puis il y a la douce Elizabeth Alexandrovna, la jeune demoiselle qui ouvre le bal dans le Jardin Alexandre en assistant au suicide de Kokorine, qui chavirera les sens du jeune policier apprenti espion.
Eraste Fandorine est le héros d'une suite de roman écrite par
Boris Akounine. Rédigé en 1998, Azazel en est le premier tome, et sert en quelque sorte de genèse du personnage. Akounine nous présente un jeune homme presque insouciant, en quête d'aventure et de passion. Ce n'est pas véritablement un Sherlock Holmes, car il se laisse emporter par ses sentiments au mépris de la logique, ce qui le conduit souvent à commettre des bévues qui peuvent le laisser dans de fâcheuses postures. L'auteur n'hésitera pas à le marquer au fer rouge, comme un rîtes de passage du temps de l'innocence vers la réalité de son époque.
Dans à un style tout à la fois raffiné et fluide, érudit et évocateur, Akounine déploie en volutes hypnotiques une intrigue qui prend pour cadre la Russie et l'Europe du XIXe siècle. Une gageure, car ces romans historiques, sans compter les affabulations ésotérico-historico-religieuse à l'instar du fameux Code, sont pléthores. Mais le pari de l'auteur est réussi, car il pare le tout de malice, d'humour, d'élégance, de culture et de rocambolesque.
Un écueil pourtant nuit, tout au moins au début, à la fluidité du récit: les noms des protagonistes. S'ils participent au dépaysement, ils n'en restent pas moins un défi pour la mémoire.
Ce premier opus des tribulations d'Eraste Fandorine (et je n'ai malheureusement pas encore lu les autres) est construit autour d'un complot aux motivations quelque peu fantasque. Malgré les nombreux tiroirs qui s'ouvrent et se referment, on ne tarde pas à assembler les éléments du puzzle, bien avant le pauvre Fandorine. Le livre n'en reste pas moins savoureux, ne fusse que pour l'atmosphère de mystère feuilletonesque.
Le réalisateur
Paul Verhoeven (
Basic Instinct,
Robocop,
Total Recall, etc. que du fin

et du sensible) aurait acquis les droits liés à Azazel (The Winter Queen, le titre anglais du roman) afin d'en faire une adaptation cinématographique, avec
Milla Jovovich dans le rôle de l'envoûtante et venimeuse Amalia, et
Dan Stevens dans le rôle de Fandorine. Le projet initialement prévu pour 2007 a été repoussé.
Akounine a confié lors d'une interview qu'il imaginait très bien
Hugh Grant incarner le personnage d'Eraste Fandorine.
Mais la télévision russe n'a pas attendu le réalisateur hollandais pour porter à l'écran les péripéties du jeune héros moscovite. En 2003, Azazel était adapté en téléfilm et au théâtre. En 2005, deux autres aventures de Fandorine (Le Gambit Turc et Le Conseiller d'état) étaient adaptées au cinéma. Les recettes du Gambit Turc dépassèrent même, en Russie, celles du Seigneur des Anneaux: Le Retour du Roi.
Références: