dimanche 5 août 2007

1974 (David Peace)

1974. Leeds, Yorkshire. A quelques jours de Noël. La jeune Clare Kemplay disparaît sur le chemin de l'école. Avant elle, Jeanette Garland et Susan Ridyard sont arrachées à l'enfance. Quelques jours plus tard, le cadavre mutilé de Clare Kemplay est retrouvé dans une tranchée de chantier.

Edward Dunford est un journaliste débutant pour l'Evening Post. Il raconte son voyage halluciné noyé par l'alcool et l'obsession de comprendre. Dunford voit d'abord dans cette disparition l'aubaine d'un scoop. Mais plus il avance dans ses recherches, guidé par un informateur providentiel, plus il s'enfonce dans la fange, jusqu'à être emporté par une coulée de boue et de vase. Au-delà du meurtre atroce de Clare Kemplay, il met au jour la réalité de Leeds: la corruption qui préside au ballet des élus; policiers, entrepreneurs, mafieux, journalistes... tous participent à la violence. D'une manière ou d'une autre, tout est lié, toutes les machinations et les compromissions s'imbriquent dans une toccata sombre, avec en point d'orgue le calvaire de ces enfants. Une spirale vers l'enfer.

Que reste-t-il après la dernière page ? Le vide. Souffle coupé. Douleur blanche et jaune. Un goût âcre en bouche. Un goût de bile. Une envie d'espoir. Le besoin de se convaincre que ce n'est qu'un livre. Un délire, une fiction. Que la réalité est autre.

Mais non.

Sous la terre se repaissent les monstres. C'est comme ce travelling de Blue Velvet. Une banlieue souriante. Une maison de plain pied. Barrière blanche. Gazon impeccable. Mais sous l'aspect lisse du jardin de M. Tout-le-monde se tapit une autre réalité. La seule.

Abject, ignoble, sale. Rien n'est épargné. Violence, meurtre, viol, chantage, corruption, connivence, trafic d'influence, pédophilie, torture, coeur fracassée contre l'acier du pouvoir. Le Yorkshire recèle une âme noire comme le charbon, un coeur vide comme le ventre de ses mines désaffectées.

Dans les déchirements et la douleur, c'est la compassion acharnée du narrateur, Edward Dunford, qui surnage. Son humanité désespérée qui le porte à la frontière de l'insoutenable. Ballottée, torturée, consumée par le cynisme et le sordide. Jusqu'au bout de l'effroyable, cette humanité est l'unique bouée à laquelle s'accrocher.

Une écriture épurée. Tranchante. Directe. Crue. Sans fioriture, l'essentiel dans sa nudité primaire. Les dialogues durs, en séquence comme une passe d'arme. Un staccato meurtrier. Un rythme de jazz effréné.

1974 est l'entame du Red Riding Quartet. Quatre romans, quatre moments des chroniques du Yorkshire. Quatre descentes aux enfers. 1974. 1977. 1980. 1983.

David Peace nous emporte dans sa fureur. Il ne peut pas laisser indifférent.

1974 (Nineteen Seventy-Four), David Peace, 1999. Editions Rivages/Noir.
Prix du roman noir étranger, Cognac, 2002.

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