samedi 9 juin 2007

Un dernier verre avant la guerre (Dennis Lehane)

Un aréopage d'influents politiciens du Massachusetts ont une petite aporie sur les bras, une vétille somme toute. Et pour s'en débarrasser, ils vont s'offrir les services onéreux de Patrick Kenzie, détective privé de son état.

En fait, la femme de ménage noire qui s'occupe de nettoyer les bureaux de ces édiles, une certaine Jenna Angeline, a disparu. Qu'importe ! Mais voilà, des documents importants ont également disparu le même jour. Retrouver la femme c'est retrouver les documents. Et justement, Patrick Kenzie n'a pas son pareil pour retrouver les personnes.

Ainsi débute au bar d'un luxueux hôtel un cauchemar qui se développera en vagues d'une violence inouïe...

Patrick Kenzie ne travaille pas seul. Dans sa petite affaire il a une associée, une amie d'enfance, Angela Gennaro. Et c'est dans le clocher d'une église que se trouve leur bureau, juste en face des pénates de Skid (c'est le pseudo de Kenzie).

Un duo n'est jamais au complet sans un troisième larron, et celui-ci s'appelle Bubba Rugowski, un autre ami d'enfance. Bubba est un genre de psychopathe qui hait le monde entier. Trafiquant d'arme et homme de main, il n'hésite pas à risquer sa vie pour ses amis tant que cela lui permet de jouer les gros bras et d'arroser de temps en temps les méchants avec du gros calibre.

Pour Pat et Angie, retrouver Jenna Angeline s'avére une tâche plutôt simple. C'est sans difficulté qu'ils la ramènent à Boston afin de récupérer une partie des documents. Mais voilà, Jenna est sauvagement abattue par un membre d'un gang, et Kenzie est à deux doigts d'y rester. Dès cet instant commence la danse infernale; les deux privés se retrouvent la cible de deux gangs rivaux au bord de la guerre. Le premier dirigé par Socia, l'ex-mari d'Angeline, un proxénète sociopathe, et le second est mené par Roland, le fils, un adolescent consumé de l'intérieur et d'une intelligence sauvage.

La mèche qui déclenchera l'explosion de sauvagerie entre ces gangs urbains est presque complètement brûlée. Brutalité, violence, corruption, le tout baignant dans une atmosphère raciale délétère. Pat et Angie sont ballottés jusqu'à recomposer la mosaïque qui lient tous les protagonistes.

Au fur et à mesure que l'intrigue se déploie, Lehane apporte du relief à ses personnages, creusant leur personnalité. Leurs blessures et leurs fêlures sont mises au jour, dans un crescendo qui calque la succession des péripéties.

Premier démon: le Héros. C'est le père de Patrick Kenzie. Un pompier devenu le héros de Boston après avoir extirpé des flammes un enfant. Mais derrière la façade publique il y a un homme violent et autoritaire qui maltraitait son fils.

Second démon: le Connard. C'est le mari d'Angela. Sans emploi et alcoolique. Il exprime ses frustrations en battant sa femme. Autrefois il était le meilleur ami de Pat, maintenant il est son pire ennemi.

Et comme ultime protagoniste, il y a Boston, avec ses quartiers défavorisés et ses chancres urbains. La ville est dépeinte de manière vivante et intime. Quoi de plus normal, c'est la ville natale de Lehane.

Un Dernier Verre Avant La Guerre est le premier épisode des enquêtes de Patrick Kenzie et Angela Gennaro. En tout cinq volumes: "Un Dernier Verre Avant La Guerre", "Ténèbres, Prenez-Moi La Main", "Sacré", "Gone, Baby Gone", et "Prières Pour La Pluie". C'est également le premier roman de Dennis Lehane, et a remporté le Prix Shamus en 1995.

C'est un polar noir à la première personne. La voix de Patrick Kenzie nous guide à travers les rues et les quartiers de Boston. Il nous présente ses côtés superficiels, comme son goût pour les vêtements griffés, les voitures sportives, sa préférence pour l'AutoMag, et la musique aux accents de guitare électrique. Mais il nous balance surtout ses démons, allant jusqu'à nous confier ses sentiments refoulés, ses souvenirs et ses cauchemars. Dans une sorte de mise en abyme, il dévoile sa relation de violence et de haine avec son père.

Somme toute, c'est un bon roman noir, sans fioriture, à l'écriture incisive et franche. Il est difficile de le laisser de côté tant le désir de connaître la suite est intense. La facture de l'intrigue est classique, sans réelle surprise. Mais ce qui donne une saveur particulière au récit, c'est l'atmosphère sordide que Lehane instille, ainsi que la progression par touche successive dans la psyché des protagonistes principaux.

L'auteur nous livre ici un Boston déprimé et corrompu, en proie aux guerres de gang, à la brutalité et la mort, le tout baignant dans un racisme larvé, voire explicite. D'ailleurs, on peut reprocher à Lehane de jouer au prêcheur, sans laisser l'opportunité au lecteur de tirer ses propres conclusions, préférant les placer dans les répliques des personnages.

Un bémol tout de même: la manière dont les événements se précipitent et se noient dans la violence n'offre que peu de répit aux personnages, mais aussi au lecteur. Les moments où il est possible de prendre un peu de recul sont rares, avec pour conséquence de limiter la relation lecteur-héros à de la sympathie, et non pas de l'empathie.
Un dernier verre avant la guerre (A Last Drink Before the War), Dennis Lehane, 1994. Édition Rivages/Noirs.

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